#RDVAncestral – Une visite chez la couturière

Assise à une terrasse d’un café, je sirote un martini blanc. Ce coin est plutôt tranquille alors que le reste de la capitale ressemble à une fourmilière. J’avoue que c’est reposant. Je n’aime pas spécialement venir à Paris, mais là, c’est un cas de force majeure : ça fait tellement longtemps que je n’ai pas vu mon amie que je me suis décidée à monter pour le week-end.

D’ailleurs, en parlant d’amie, il faut que je la rejoigne au Sacré-Cœur. J’ai le temps avant qu’elle ne sorte du travail et je profite pour aller faire un tour dans le quartier des Batignolles. Il paraît que le square est magnifique et ce serait l’occasion de s’y arrêter un instant avant de monter sur la butte de Montmartre. Tandis que je suis en chemin, je vois soudain une boutique vintage et décide de m’y arrêter rapidement. Je n’en suis pas spécialement fan mais les robes en vitrine méritent le coup d’œil. Je me demande à qui elles ont appartenu, à quelle occasion elles ont été portées, qui étaient ces femmes et quelles étaient leurs histoires… Mon amour pour l’histoire sans doute. Perdue tout à mes pensées, je n’ai pas entendu une dame m’interpeller :

« Madame, voudriez-vous bien vous en aller ? J’appellerai la police sans tarder si vous ne faites pas », j’entends depuis la porte d’entrée de la boutique. Un peu sonnée par ce retour brutal à la réalité, je me demande à qui parle cette dame et me retourne pour vérifier.

– Non, c’est bien à vous que je m’adresse. Nous sommes une boutique respectable et les personnes… de votre acabit, dit-elle avec une pointe de dégoût, ne sont pas les bienvenues ici.
– Pardon, mais pourquoi vous me parlez de cette manière ? Je suis comment d’après vous ?
– Ne me prenez pas pour plus bête que je ne suis, je vois bien que vous êtes une fille de mauvaise vie ! Qui donc pourrait bien mettre un jupon aussi court ? On voit vos mollets et vos bras, ce qui est contraire à toute bienséance. Cela suffit, j’appelle la police ! »

Interloquée, je me tais sur le coup de la surprise. Jamais on ne m’avait prise pour une prostituée. Une jeune femme, sortant de la boutique, vient alors à mon secours. Je remarque alors qu’elles sont habillées de la même manière à peu de choses près : une longue jupe sombre et un chemisier élégant mais modeste, ce qui me fait penser aux femmes du début des années 1900.

« Voyons, Marie, ce n’est pas une manière de parler. Ne voyez-vous pas que cette dame semble perdue ? N’appelez personne, je m’en occupe ! » Puis à moi : « Venez Madame, éloignons-nous. Qu’est-ce qui vous amène par ici ?
– J’ai vu les robes en vitrines et j’ai voulu les regarder de plus près, tout simplement… Je ne comprends pas pourquoi cette dame s’est mise en colère.
– Votre tenue est… atypique. Marie, la patronne, est gentille mais il faut savoir se la mettre dans la poche. Elle déteste la mauvaise clientèle – sans vouloir vous vexer.
– Ce n’est pas une raison pour m’insulter…
– Certes, mais avouez que votre tenue dénote. Venez, je peux vous amener chez ma mère, elle saura vous vêtir décemment. Je dois de toute façon aller lui parler. »

Mais qu’est-ce que ma tenue a de si particulier ? Elle a tout ce qu’il y a de plus classique : robe fleurie qui descend en-dessous du genou et recouvre les épaules. Arrivée à une rue plus animée, j’ai l’impression de rêver. Ou d’être dans un film. Les hommes sont pour les uns bien habillés, sobrement, pour les autres, simplement, comme des ouvriers du siècle dernier, tandis que les femmes portent pour la plupart de jolis chapeaux, larges et décorés. Toutes les tranches de la population se croisent ici. Un peu plus loin, un jeune garçon crie et hèle les passants pour acheter le journal. Les sabots des chevaux qui tirent de lourdes charges, voitures ou marchandises, résonnent sur les pavés. Un peu plus loin, un homme nettoie les chaussures des passants. Le son d’un train à vapeur se fait brusquement entendre.

« Ne restez pas plantée ici ! Vous n’avez jamais vu Paris ?
– Pas comme ça, non…
– Eh bien, je comprends alors votre désarroi. Ma mère se plaint souvent du bruit de la ville et regrette parfois le village de son enfance, en Franche-Comté. Mais pour rien au monde elle ne voudrait retourner là-bas. Elle me dit qu’elle n’y a plus d’attaches. Moi, j’aime la ville, elle offre tellement d’opportunités ! Ah, voilà, nous ne sommes plus très loin. Mais je jacasse trop. Venez, nous allons voir les soldats partir par le train avant d’aller chez ma mère. Ils partent à la guerre. Ils n’en auront pas pour longtemps, qu’ils disent. On va foutre une raclée aux Boches, ça sera bien fait pour eux !

Je la laisse continuer de parler. Ce siècle me semble à la fois tellement proche et tellement lointain. D’ailleurs, ça m’arrange qu’elle parle, au moins je n’ai pas à parler de moi et de mon retour en arrière de plus d’un siècle. Je n’ose pas lui dire que la guerre va durer bien plus longtemps que prévu et qu’elle engendrera beaucoup de deuils. Je lui demande prudemment si elle a des proches qui sont déjà partis à la guerre.

– Il n’y a que mon frère, Léon. mais il ira au front dans un mois. Il a réussi à obtenir une dispense. Et il va se marier dans un peu moins deux semaines. J’ai tellement hâte ! Enfin, si ma mère est d’accord…
– Mais… il ne peut pas se marier sans le consentement de votre mère ?
– Si, bien sûr que si, il est majeur. C’est juste que… Oh, et puis zut ! Léon et ma mère ne se parlent plus.
– Je suis vraiment désolée… je sais combien c’est difficile à vivre quand un des parents est en froid avec un de ses enfants. Et vous, vous lui parlez encore ?
– J’essaye, en cachette. Mais c’est dur. Pour ma mère, ce n’est qu’un voyou, un enfant qui a mal tourné, même si elle l’aime du fond du cœur. Ma sœur Nelly se range du côté de ma mère. Elle me défend même de le voir !
– Vous pouvez quand même décider pour vous, non ?
– C’est plus compliqué que ça… je suis encore mineure et sous la tutelle de mon beau-père. Je crois d’ailleurs que ces deux-là ne se sont jamais entendus, pour le plus grand malheur de ma mère. Mais ne vous inquiétez pas, ma mère et moi sommes très proches » me confie-t-elle avec un sourire.

Tous ces faits… J’avais compris que j’étais en 1914 mais me voici en août 1914, peu après l’annonce de la Première Guerre Mondiale. Son frère Léon serait-il le père adoptif de mon arrière-grand-mère Renée, celui même par qui j’ai reçu mon nom de famille ? Tout concorde : les parents qui viennent de Franche-Comté et se sont installés à Paris, Jules Léon BRUCKNER en froid avec sa mère, qui se marie le 1er septembre 1914, Léontine Alexandrine Nelli, dite Nelly… Alors, cette jeune fille serait Marcelle Césarine ? Elle avait 20 ans en 1914, c’est-à-dire encore mineure selon la loi en vigueur à cette époque. Si sa mère s’appelle Constance ou Françoise, j’aurai ma confirmation. Justement, nous arrivons chez elle.

« Mère, j’amène quelqu’un ! Il lui faudrait de nouveaux habits !
– Entrez, je prépare ma boîte à couture et je suis à vous !
– Elle ne va pas être trop surprise par ma tenue ? Je ne veux pas qu’on me traite à nouveau de prostituée…
– Oh, elle sera un peu surprise, oui. Mais ne vous inquiétez pas, elle est tellement attentive à ses clients qu’elle ne fera pas de remarques de mauvais genre, surtout si je vous accompagne. Elle est couturière, j’avais oublié de le préciser. J’espère juste que mon beau-père ne sera pas là…
– Entrez, entrez, ne restez pas devant le pas de la porte, dit une voix chaleureuse avec un fort accent franc-comtois. Je m’appelle Françoise (bingo ! Je rencontre donc mon arrière-arrière-arrière-grand-mère adoptive !). Ah oui, je vois… J’ai quelques vêtements qui pourraient vous aller. Quoique… Il va falloir faire des retouches. Vous êtes grande et fine. Tenez, essayez ceci. Je vais refaire un ourlet en bas de la jupe et arranger ce chemisier. »

Devant moi s’étale une vraie caverne d’Ali Baba de la couture : mannequins, patrons, aiguilles, fils,… Ce qui m’interpelle le plus est la machine à coudre Singer : noire avec des décorations dorées. On dirait celle qui est dans la maison de ma grand-mère maternelle et qui a appartenu à mon arrière-grand-mère maternelle. Je me sens un peu nostalgique. Cependant, je reviens vite au moment présent grâce aux bavardages de ces deux femmes. Nous nous sentons proches alors que nous ne nous connaissons pas. J’en profite pour discuter avec elles de couture, puis Marcelle dévie sur un sujet plus intime mais que je devine important pour elle :

« Mère, il faudrait que vous puissiez parler à Léon. Il se marie le 1er septembre ! Ne serait-il pas temps de laisser le passé de côté et de vous réconcilier ? Vous pourriez même faire la robe de mariée à Victorine !
– Ne me parle pas de lui, Marcelle, pas maintenant. Que veux-tu que j’y fasse ? Il a choisi son chemin… N’oublie pas que c’est un voyou ! Arrêté pour outrage à agent, port d’arme prohibé… mais que voulait-il faire avec ça ?
– Mère, il a changé ! Ce que vous racontez date de plusieurs années en arrière. Il a même obtenu son certificat de bonne conduite à l’armée. C’est un tout autre homme aujourd’hui.
– Marcelle, que fais-tu de ton beau-père ? Ils ne voudront pas se voir ! Depuis la mort de Joseph – paix à son âme – et mon remariage, Léon n’est plus que l’ombre de l’enfant que j’ai connu. Enfin… aujourd’hui, je ne sais pas. Nous ne nous voyons guère.
– Mais mère…
– Il n’y a pas de « mais » ma fille. Nous nous reverrons lorsqu’il fera le premier pas. Et cela implique également ton beau-père. Tu sais que ça me déchire le cœur, pourtant il faut laisser les choses là où elles sont. Arrêtons d’ennuyer notre invitée avec ce sujet à présent et finissons notre ouvrage.

Je devine le sujet sensible autant pour la fille que pour la mère, j’attrape alors la perche tendue par Françoise pour ouvrir un sujet plus neutre. Après quelques heures, le travail est terminé et je ressemble à une jeune femme des années 1910. Françoise m’indique l’adresse d’une modiste près du Sacré-Cœur pour parfaire ma nouvelle tenue. Marcelle m’y accompagne avant de poursuivre sa route et retourner travailler.

Je déambule alors dans les rues pour atteindre mon point de rendez-vous en espérant y arriver à l’heure. Après tout, plus d’un siècle nous sépare, mon amie et moi. Je suis en train de penser à tout ce que j’ai vu et entendu lorsque j’entends quelqu’un crier mon prénom. Me voici donc revenue à notre époque, avec mon amie, et ma visite à ces charmantes couturières dans un coin de ma tête. Peut-être irais-je faire un tour dans ma famille maternelle un jour, chez un maître-tailleur ?! Après tout, je descends de plusieurs générations de tailleurs. J’espère avec un sourire et pars au-devant de mon amie.

#RDVAncestral – Une surprise hivernale

Le temps est clément, en ce mois de février. Nous n’avons pas eu de véritable hiver et ça me laisse perplexe quant au temps qu’il fera en été… Aurons-nous un été pluvieux ? Mes pensées virevoltent : le temps cet été, mon frère qui veut aller au Japon à cette période de l’année, les Jeux Olympiques de Tokyo, les Jeux Olympiques…

Je me retrouve tout à coup devant un vieux poste de radio, comme celui qui est chez ma grand-mère, mais en bien meilleur état. « Ces Jeux étaient exceptionnels. C’est une grande réussite pour le paysage français, qui non seulement a rassemblé près d’un million de visiteurs, mais la France a réussi à se classer parmi les meilleurs mondiaux. On a gagné 9 médailles – vous rendez-vous compte ? -, ce qui nous place à la troisième place du classement des pays… » rapporte une voix de journaliste, qui continue de parler mais je ne l’écoute déjà plus.

J’ouvre la fenêtre et un courant d’air frais me glace en un instant. Il fait d’ailleurs bien frais dans cette pièce exigüe. En tout cas, l’hiver est bel et bien présent ici. Je ne reconnais pas où je suis et m’empresse de faire le tour pour en avoir une idée. Ça tombe bien, près de la fenêtre se trouve un journal. La date indique le 22 février 1968. 1968 ? Les Jeux Olympiques d’hiver se passaient à Grenoble mais quel rapport ?… Ça y est, je me souviens : mon arrière-arrière-grand-mère Victorine TETARD est décédée cette année-là. Serais-je à Dijon ? Je m’habille chaudement et descends dans la rue. Malheureusement, je ne reconnais pas grand chose non plus, n’y étant jamais allée… J’hèle un passant pour savoir où se situe le cimetière. Une fois arrivée sur place, je vois une procession. Je me glisse vers eux tout en restant à une certaine distance. J’entends par la même occasion des bribes de discussions.

« C’était une belle personne. Dommage qu’elle nous ait quittés.
– Que voulez-vous ? Nous ne sommes pas éternels…
– Elle n’a pas eu une vie facile…
– Elle était vaillante !
– Elle a pourtant abandonné son enfant, la seule qu’elle avait ! Je n’aurais pas pu…
– Chut ! La voici. »

Je me tourne vers la personne dont ils parlent. Mon arrière-grand-mère ! Je reconnais tout de suite le visage de cette femme, pour avoir regardé longuement son visage sur les photos qu’on m’a envoyé. J’ai alors envie de me précipiter vers elle, prendre ce petit bout d’femme dans mes bras et lui poser milles questions. Cependant, je reste à ma place, ayant conscience du moment solennel. Son visage ridé est grave et on voit que la vie ne l’a pas épargnée non plus… Alors, je laisse les questions défiler dans ma tête :

Renée, as-tu connu ton père adoptif ? Comment était-il ? Que s’est-il passé pour que tu « abandonnes » tes deux garçons, Paul et Raymond, mais pas ta fille Hélène ? Qui est le père de tes trois enfants ? Qu’es-tu devenue ? Qui es-tu ? Je n’ai que des bribes de ta vie et plus de 30 ans séparent la naissance de Raymond, mon grand-père, et cet instant…

Alors que la scène devant moi devient de plus en plus floue et que j’ai conscience de revenir au 15 février 2020, une question me taraude : Renée BRUCKNER, est-ce que je te retrouverai un jour ? Après 1968, je n’en ai plus aucune trace. Mais je suis heureuse. Heureuse de l’avoir aperçue. Et j’espère… J’espère qu’un jour une porte s’ouvrira et une partie de ces mystères résolues.

Renée BRUCKNER et sa fille Hélène (?) – Archives personnelles

#RDVAncestral – 1er voyage dans le passé

Le RDVAncestral est l'occasion d'écrire un récit sur la rencontre avec un de nos ancêtres, d'aller à sa rencontre, à son époque. 
Rien ne me prédestinait à ce premier voyage dans le temps et dans l'espace. Voici le récit de cette première aventure inédite.

Alors sur le chemin pour rendre visite à ma famille, je commence à m’assoupir. La fatigue commence à se faire ressentir après ces quelques courtes nuits que je viens de passer. Mon esprit se libère et me voici dans les bras de Morphée…

Je me retrouve sur un chemin de terre, entourée de champs et de forêts. Il fait froid, le sol est givré, le jour se lève. De la vapeur sort de ma bouche et je me souviens un instant de mes sorties à la campagne plus jeune. La nature semble étrangement à la fois immobile, comme dans un écrin de verre, et vivante, prête à éclore. Plus loin, un village se distingue sur les lueurs de l’aube. Je décide d’aller dans sa direction pour savoir où je me trouve. A peine ai-je fait quelques pas que je butte sur une pierre que je n’avais pas vue et manque de m’affaler par terre. Je n’ai pas le temps d’étouffer un cri de surprise et de douleur qu’un homme, que je n’avais pas entendu arriver, me demande comment je vais.

« Bien, merci » dis-je en me retournant vers mon interlocuteur. Quel n’est pas mon étonnement de voir un homme d’une quarantaine d’années, habillé… de manière singulière.

« Puis-je vérifier votre pied ? J’aimerais vérifier que vous ne vous êtes rien cassé, ni foulé la cheville. »

Je m’aperçois alors que je suis habillée différemment que d’habitude. Je porte une longue robe bouffante bleu azur, un petit manteau chaud sur les épaules, une sorte de coiffe sur la tête et des souliers confortables aux pieds. Je me demande qui est cet inconnu.

« Vous êtes médecin ?
– Non, chirurgien. Et à votre cri étouffé, je dirais que vous vous êtes fait mal…
– Excusez ma méfiance mais je ne m’attendais pas à pareille demande.

Le monsieur n’a pas l’air mal intentionné, il parait plutôt honnête même. Je le laisse ausculter ma cheville.

– Heureusement pour vous, vous ne semblez pas affectée. Où allez-vous comme ça ?
– Je voulais continuer sur ce chemin mais je me suis perdue. Où sommes-nous exactement ?
– Sur la route de Bar.

La route de Bar… Mais oui, bien sûr, ce ne peut être que Bar-le-Duc ! Il ne me reste plus qu’à trouver à quelle époque j’ai atterri.

– Je rentre chez moi, à Fains, reprend ce gentilhomme. Voulez-vous m’accompagner jusqu’au village ?
– Volontiers ! Je ne connais pas ce chemin et je trouverais sûrement quelqu’un qui voudra bien me donner un peu d’eau à boire. »

Nous nous mettons en chemin et discutons. De par ce qu’il me dit, j’ apprends qu’il s’appelle MOREL. Je devine qu’il est aimé et respecté de tous ici. Il rapporte d’ailleurs un cadeau avec lui : un panier plein de pommes et deux belles carpes. Les seigneurs du lieu font même appel à lui quand ils en ont besoin. J’essaye d’en savoir plus :

« Ces seigneurs, sont-ils comme on les présente, pieux et bienveillants envers tous ?
– D’une certaine manière, oui, quand ils sont là. Malheureusement, ils se font plus rares que leurs prédécesseurs, les Seigneurs de Florainville…
– Remy, tu ne vas pas me croire. Catherine est sur le point d’accoucher ! nous interrompt un homme du même âge que « mon » MOREL, qui vient à notre rencontre en courant.
– Il n’y a pas de temps à perdre, Claude ! Allons-y ! »

Tout d’un coup, tout s’éclaire : je viens de faire une balade avec mon ancêtre Remy MOREL, maître-chirurgien. Cet homme essouflé n’est autre que Claude TOUSSAIN(T), le père de Catherine, et ces trois personnes sont toutes mes ancêtres. Par un concours de circonstance, je comprends que je suis en 1691. Le 22 novembre 1691. Je comprends aussi mieux pourquoi j’ai l’air de ressembler à une dame de la noblesse, ce sont tous deux des « hommes honorables ».

« Pardon ? (je me rends compte que l’on m’a parlé)
– Souhaitez-vous nous accompagner ? Vous pourrez entrer au chaud dans la maison et vous désaltérer. »

Je n’ose pas dire non, il fait si froid ! Mes mains et mes pieds sont gelés. Nous nous remettons en route et arrivons bientôt chez Pierre MOREL et Catherine TOUSSAINT. Au détour d’une ruelle, j’aperçois l’église Sainte Catherine et le château. Un jeune homme d’une vingtaine d’années sort de la maison :

« Père, venez vite ! L’accouchement a déjà commencé. La matrone a besoin de vous.
– J’arrive !
– Remy, tu es là ? entend-on depuis une autre pièce de la maison.
– Me voici, me voici, répond le concerné.
– Remy, j’ai besoin de toi. L’accouchement se complique…
Remy se retourne alors vers moi :
– Veuillez m’excuser, mademoiselle… (puis, voyant mon alliance) Madame, avez-vous déjà accouché ?
– De deux enfants, pourquoi ?
– Venez avec moi, une personne de plus ne sera pas de trop. »

Je m’exécute. Une douce odeur de verveine flotte dans la pièce. La chambre est exiguë et je devine que les femmes présentes sont de la famille. Je me demande ce que je fais là – et ne suis pas la seule à en croire les coups d’œil furtifs à mon endroit. On va entendre parler de l’étrangère encore longtemps, j’en ai bien peur. Les chuchotements se tournent rapidement en prières et Remy, inconsciemment, vient à mon secours : « Catherine, je te présente Catherine (j’ai préféré donner mon prénom francisé), elle a déjà eu deux enfants, deux garçons. Elle va t’aider lors de l’accouchement. » On ne discute pas des ordres d’un maître-chirurgien, qui plus est son beau-père et devant le fait accompli. La pauvre, en souffrance, n’a d’autre choix que de se résigner mais m’accepte avec un sourire, comme si ma venue – ou serait-ce mon prénom ? – allait lui porter chance. Je me souviens alors avoir lu que les femmes en train d’accoucher, à cette époque, avaient des livres de prières dans leurs lits. Je le lui emprunte et nous récitons toutes ensemble une prière, toutes conscientes de ce qu’est l’accouchement et les conséquences possibles. Catherine ne se plaint pas. Ces sortes de psalmodies lui permettent de mieux respirer, ce qui l’aide énormément. Mais Remy doit intervenir, le bébé est bloqué à l’intérieur. Il essaye d’abord de le changer de position, ce qui arrache un cri de douleur aigu à la pauvre mère, puis s’aide de crochets pour sortir le bébé. Catherine hurle de douleur Je ne dis rien, j’ai peur pour la mère et l’enfant mais c’est une autre époque… J’essaye de la réconforter avec une autre femme pendant que d’autres prient pour elle. Pour cette fois-ci, le bébé sort indemne et en bonne santé, mais je me demande si ces crochets ne font pas plus de mal que de bien. La sage-femme, après l’avoir nettoyé, le montre à la nouvelle maman. Quelques instants plus tard, elle l’amène à Pierre pour aller le faire baptiser à l’église. Ce 22 novembre 1691, un nouvel enfant est né : il s’appelle Pierre, comme son père, premier né de 9 enfants. Je profite du départ de la matrone pour m’éclipser à mon tour, sans avoir oublié de souffler à Catherine de mettre son bébé au sein dès le début. Je lui confie que « le premier lait est le meilleur » sans savoir si elle m’écoutera vraiment ou si elle suivra la coutume de son temps qui est de jeter le colostrum au feu.

En sortant de la maison, j’ai une pensée pour cette famille. Je n’ai pas revu Remy MOREL. Il a dû quitter la chambre juste après l’accouchement, comme il est mal vu qu’un homme soit dans la chambre d’une jeune accouchée. Toute la famille se réjouit de ce premier fils. Ils ne doutent pas que le malheur va bientôt s’abattre sur leur foyer avant de connaitre à nouveau de meilleurs jours.

Remy MOREL meurt le 12 décembre 1693. Alix LONGEAU, sa femme, meurt le 6 décembre 1694, à l'âge de 68 ans.
Sur les 9 enfants que Pierre MOREL père et Catherine TOUSSAIN auront, au moins 6 enfants se marieront. Un fils mourra à l'âge de 12 ans.
Pierre MOREL fils vivra encore longtemps et aura lui-même de nombreux enfants. Il meurt en 1762, à Behonne.

Recette – Apfelstrudel

« Que vient faire la cuisine dans la généalogie ? » pourrait-on me demander. A ceci, je répondrais que l’art culinaire n’a pas d’âge, ni de limite, et qu’il fait parti, bien souvent, de nos souvenirs d’enfance mais aussi, peut-être, d’une tradition familiale, régionale ou nationale.

Sans plus tarder, je vais vous parler d’un dessert que j’ai toujours aimé et qui est un peu ma « madeleine de Proust », un dessert qui a traversé au moins trois générations dans ma famille, si ce n’est plus.

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La Saint Nicolas

Le mois de décembre est un mois plein de fêtes : Hanukka pour les Juifs, la Saint-Nicolas, l’Avent, Noël, etc. Aujourd’hui n’échappe pas à la règle puisque c’est la Saint Nicolas ! Ma mère étant allemande, nous l’avons (presque) toujours fêté dans ma famille. Du côté de mon père, mes ancêtres viennent du nord-est de la France, où la Saint Nicolas est une tradition bien ancrée. N’est-ce pas une bonne raison d’en parler ? Petit tour d’horizon de cette fête dans les régions de mes ancêtres.

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Les noms de famille : Bartelmann

Après le nom de famille BRUCKNER, c’est au tour de la branche maternelle d’être mis à l’honneur avec le patronyme BARTELMANN. Les noms de famille allemands n’échappent pas à la règle : ils signifient souvent quelque chose. Par exemple, KLEIN signifie « petit », WOLF signifie « loup », etc. La petite différence avec les patronymes français vient que l’allemand utilise beaucoup les noms composés – ce qui fait vraiment des noms à rallonge parfois ! -, comme dunkel-grün (= vert foncé). Les noms de famille ne font pas exception, et BARTELMANN est composé de « bartel-mann ».

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